Anna Hess — Les Inrockuptibles, 2015
Spectrales, les images de Ludovic Sauvage apparaissent, disparaissent et se fondent les unes dans les autres, dans des projections de vidéos ou de diapositives.
Exposé en début d’année à la galerie Glassbox et au Parc Floral de Paris, le jeune artiste participe bientôt à plusieurs expositions collectives, à Paris (samedi 11 avril 2015 à la Cité internationale des arts) et à Saint-Etienne (du 18 avril au 16 mai à L’Assaut de la Menuiserie).
Tu présentais il y a quelques jours à la galerie Glassbox un ouvrage conçu à l’issue d’une exposition à HEC, 2014. Quel a été le point de départ de ce projet?
J’étais invité en résidence à l’Espace d’art contemporain de l’école HEC. L’idée du projet a commencé à germer en voyant dans un couloir une exposition d’images d’archive du campus, présentées sur un grand sticker.
J’ai décidé de travailler avec le même fonds d’archives, de construire une version contemporaine du rapport qu’un lieu peut entretenir avec son passé. Certaines images étaient assez iconiques, en particulier celles représentant l’ancien hôtel du campus, à l’architecture moderne, presque brutaliste: deux cubes symétriques posés sur des pilotis de béton. Il a depuis été totalement réhabilité, avec une nouvelle façade bien plus anonyme.
L’exposition a pris place dans un espace du bâtiment le plus récent du campus, dont les fenêtres donnaient sur l’ancien hôtel. Je voulais que la forme de celui-ci soit comme un fantôme qui hanterait le nouveau bâtiment.
L’exposition était notamment composée d’une vidéo qui, comme souvent dans ton travail, faisait partie d’une installation. En quoi consistait-elle?
La vidéo était une courte boucle montrant une reconstitution 3D de la façade de l’ancien hôtel, dont la géométrie très simple était révélée par un jeu de lumière. Elle se fondait dans la matière du mur de béton sur lequel elle était projetée.
Le reste de l’espace était occupé par un bataillon de douze plantes de bureau dont j’avais construit les caches pots en m’inspirant de la forme de l’ancien hôtel. Une lampe de salon venait parfaire l’installation, créant une impression intime, domestique et étrange, en décalage avec les néons utilisés dans le bâtiment. C’était aussi une référence au titre de l’exposition, This Must Be The Place, du nom de la célèbre chanson des Talking Heads que le chanteur interprétait sur scène avec une lampe près de lui. Un clin d’œil à une référence pop qui permet une autre lecture de l’œuvre.
La dernière étape du projet a été le livre, qui vient de sortir, conçu avec le studio de design graphique Atelier trois comme une prolongation de l’installation sous la forme de collages cinétiques d’images d’archives et de photographies de l’exposition.
Travailles-tu toujours à partir d’un corpus d’images ou d’archives?
Souvent. C’est sur ce principe que j’ai construit Terrasse, ma première exposition personnelle à Paris, qui s’est tenue en début d’année à la galerie Glassbox. Je travaille principalement à partir d’images que je n’ai pas produites. Pour cette exposition, j’ai pris comme base de travail une boite de diapositives qu’un ami avait trouvée dans une brocante. J’ai sélectionné des paysages génériques, des images stéréotypées qui interpellent l’imaginaire collectif, pour réaliser les œuvres de l’exposition : une installation vidéo, des projections de diapositives et des affiches.
Ce qui frappe dans ces deux expositions, This Must Be the Place et Terrasse, c’est la façon dont tu utilises la lumière extérieure comme un matériau propre, qui entre en écho, et parfois altère, les projections.
La lumière s’est imposée comme un élément essentiel de mon travail parce que c’est ce qui fait percevoir les images. Je crois que cette fascination vient de la pratique de la peinture que j’ai eu avant de faire de la vidéo. J’aime que des phénomènes naturels interpénètrent les formes que je montre. Cela m’intéresse de jouer avec de la lumière artificielle et de la confronter à la lumière naturelle. Je ne cherche pas à enfermer mes pièces dans des salles obscures, mais plutôt à les confronter à la temporalité du réel, au temps physique, linéaire et immuable, et aux différents niveaux de perception des spectateurs. La boucle de quarante secondes de la vidéo de This Must Be The Place, par exemple, est un temps accéléré qui, confronté à la réalité et aux vingt-quatre heures qui défilent, créé un sentiment particulier.
Ce jeu entre intérieur et extérieur était justement au cœur même des pièces que tu présentais dans l’exposition à Glassbox.
Je pense à l’installation vidéo Rivage ou la double projection de diapositives Terrasse…
L’interpénétration de l’intérieur et l’extérieur m’intéresse en effet énormément.
Elle apparaît dans Rivage par la projection d’une vidéo sur une photographie collée au mur. De subtils changements de lumière et des reflets très discrets révèlent les deux plans de l’image. Il y avait aussi un jeu de matière entre la trame de l’affiche et celle de la projection.
L’œuvre Terrasse était quant à elle un geste simple de superposition de diapositives toutes très similaires mais avec de légers décalages: cinq photographies prises en intérieur et cinq autres de l’autre côté d’une baie vitrée et d’une piscine. Cette baie vitrée étant centrale dans l’image, elle devient un pivot, et par des effets de reflets répète des éléments qui troublent plus encore le regard. On ne sait plus ce qui appartient à une image et ce qui appartient à l’autre.