Anaël Pigeat — Art Press, 2014
Diplômé de l’ERBA de Valence puis de la Villa Arson à Nice, Ludovic Sauvage a été sélectionné au Salon de Montrouge en 2012 et a montré depuis, dans de nombreuses expositions, un travail de plus en plus abouti. Il a récemment participé au Musée passager itinérant en Île-de-France, et au festival des Arts Éphémères, dans le parc et les salons de Maison Blanche à Marseille.
Ludovic Sauvage se plaît à tresser des images, numériques ou argentiques, au point que l’on a parfois du mal à les démêler. C’est aussi la lumière qui le préoccupe, la lumière projetée, mais aussi celle de la Provence et de la Californie dont on reconnaît ici et là des palmiers plus ou moins stylisés. Quels que soient les chemins qu’il emprunte, c’est toujours au coeur des images qu’il cherche à nous conduire.
Ses oeuvres pourraient être réparties en deux catégories, certaines complexes et sophistiquées, d’autres relevant d’un geste simple et radical comme Vallées (2010): deux diapositives sont projetées l’une sur l’autre, et se dédoublent lorsqu’un visiteur passe dans le champ de l’un des projecteurs. Ces expériences provoquent souvent le surgissement d’une troisième image.
Comme Vallées, Plateau (2014) a été réalisé à partir d’une collection de diapositives révélant des images de Provence (offerte par un collectionneur rencontré sur internet). Il en a choisi une pour la perforer : des rochers noirs qui se découpent sur la mer – c’était la seule dans laquelle le contre-jour était raté. Dans cette récente installation, cette image est présentée en double, d’aplomb et à l’envers. Et les scénarios défilent, l’image pleine, l’image perforée, le blanc qui frémit sous l’effet de la condensation, le noir qui demeure, fragments d’image trouvée et d’image manquante.
À partir d’une source numérique cette fois, c’est aussi une troisième image que produit l’installation Zombies (2012), conçue pour une exposition dans un collège parisien. Dans une vidéo, deux images de palmiers tournent sur elles-mêmes comme des carrousels (selon le principe de la pièce About Shangri La (2010) réalisée deux ans plus tôt). Leurs bords se touchent et font apparaître un troisième palmier, comme un spectre. Ces arbres verts sont projetés sur un tableau d’ardoise. S’agit-il d’un rêve heureux ou d’un cauchemar ? d’une hallucination certainement. Le titre de l’oeuvre reprend celui du recueil de nouvelles de Bret Easton Ellis. Ludovic Sauvage se réfère souvent à la culture de la côte Ouest des États-Unis. Une de ses pièces avait pour héros invisible l’écrivain Thomas Pynchon, et il cite volontiers les décors de l’artiste conceptuel William Leavitt. À travers ces recherches, il s’aventure dans les strates des images, comme s’il les disséquait, mais d’un coup de baguette magique plutôt que de scalpel.
Ce travail va de pair avec une réflexion sur le temps. Les carrousels de diapositives qui tournent côte à côte, et les images qui tournent sur un axe dans les vidéos comme Zombies, peuvent rappeler les mécanismes d’horlogerie avec leurs bords dentelés qui s’encastrent les uns dans les autres. Avec un carrousel, l’oeil n’accède à l’image que par le côté, jamais par le centre, remarque Ludovic Sauvage : c’est là aussi une image du temps à l’intérieur duquel on ne peut pas entrer.
Or c’est justement du temps que Ludovic Sauvage cherche à ajouter à ses images. Pour Monument ( 2013), réalisé avec le designer graphique Lionel Catelan, il a choisi une carte postale, datant des années 1970, sur laquelle on voit un immeuble en béton brut dans un jardin ensoleillé en Bavière, des parasols à chaque balcon. L’image a été divisée en soixante-quatre rectangles qui ont chacun été photographiés successivement. L’installation consiste en un agrandissement de la carte postale, fixé au mur, sur lequel sont projetés les soixante-quatre rectangles qui recomposent l’image à des temps différents. Un livre complète ce dispositif, dont les pages sont ces fragments de la première image ; leurs formes pixelisées sont à peine reconnaissables. Ce tremblement de l’image est aussi celui du temps.
Pour Ludovic Sauvage, l’archive est souvent matière première. La trouvaille qu’il a faite de Desert Magazine, étonnante publication américaine qui a eu cours entre 1937 et 1985, a servi de départ à une nouvelle série. « Il y a deux déserts… », ainsi commence l’éditorial du premier numéro de ce magazine. Au cours d’une performance, deux lecteurs disent cette phrase. La suite du texte, qui évoque la différence entre un paysage perçu et un paysage expérimenté, est ensuite diffusée sous une forme de plus en plus altérée par le feedback de l’espace environnant au moment de son enregistrement– le principe a été repris de la pièce I’m sitting in a room (1969) du compositeur Alvin Lucier. Chacun des performers empile, sur un rétroprojecteur, des transparents sur lesquels le texte est écrit ; l’image s’opacifie au fur et à mesure que les voix se brouillent ; le son se transforme en espace.
Une autre oeuvre consiste en la projection de deux couvertures du magazine sur un de ces panneaux publicitaires dans lesquels différentes images défilent sur des barres triangulaires qui tournent sur un axe – comme de nouveaux carrousels. Celles-ci sont ici revêtues de lamelles de miroir. Les mouvements de la caméra déforment les images dans un effet kaléidoscopique. Cette vidéo est projetée sur un papier peint dont les rayures se confondent parfois avec celles de l’image. Un petit palmier est appuyé contre le mur, lointain écho à cette Californie rêvée.
C’est encore à partir d’archives que Ludovic Sauvage a travaillé au cours d’une résidence à HEC. Il a découvert l’existence sur le campus d’un ancien hôtel de style brutaliste, aujourd’hui dissimulé sous une façade anodine. Cette recherche a donné lieu à une vaste installation présentée sur place : douze palmiers areca de Madagascar – ces plantes corporate qui permettent d’oxygéner les bureaux – ont été installés dans des cachepots en médium noir, de la forme de cet hôtel. Une reconstitution en 3D du bâtiment était projetée au mur. Le tout éclairé par une lampe sur pied. This must be the place, dit la chanson des Talking Heads qui donne son titre à cet ensemble fantomatique. De quel endroit s’agit-il là ? La lumière solaire des images de Ludovic Sauvage l’est d’autant plus que l’ombre y guête souvent.